Des chercheurs de l'Institut Pasteur et du CNRS viennent de marquer une avancée dans la compréhension de la maladie due au virus Chikungunya (maladie de "l'homme courbé"), qui sévit actuellement en Inde et au Gabon, en identifiant pour la première fois des cellules cibles du virus. Leurs résultats, menés en collaboration avec des cliniciens de l'île de la Réunion, sont publiés dans PLoS Pathogens et dans PLoS ONE.
Le virus Chikungunya, découvert en Tanzanie en 1952, et la maladie qu'il provoque ont été jusqu'ici très peu étudiés. L'épidémie qui a sévit dans des îles de l'Océan Indien en 2005-2006 (270 000 cas) avait conduit à la mobilisation d'une douzaine d'équipes de l'Institut Pasteur à Paris, désormais engagées dans l'étude de cette maladie négligée. Des équipes pasteuriennes avaient notamment retracé l'histoire évolutive du virus Chikungunya dans l'Océan Indien, grâce au séquençage de plusieurs souches virales ayant circulé au cours de l'épidémie (voir communiqué du 23 mai 2006). Le Chikungunya a depuis provoqué une vaste épidémie en Inde, faisant entre 1,4 et 6,5 millions de cas entre 2005 et 2007, et touche actuellement le Gabon, où quelque 11 500 cas ont été répertoriés depuis mi-avril 2007.
La première question-clé pour l'étude de la pathogenèse de cette maladie porte sur le tropisme du virus: quelles sont les cellules qu'il infecte dans l'organisme ? L'étude aujourd'hui publiée visait à répondre à cette question. Elle a été menée par l'équipe d'Olivier Schwartz - Unité Virologie (CNRS URA 3015) à l'Institut Pasteur -, en collaboration avec plusieurs équipes de l'Institut Pasteur et du Groupe Hospitalier Sud Réunion.
Les chercheurs ont tout d'abord adapté des outils (cytométrie de flux, immunofluorescence, microscopie électronique...) permettant de visualiser et de quantifier le virus. Ils ont ainsi pu démontrer in vitro que celui-ci ne se multipliait pas dans les cellules sanguines circulantes (lymphocytes, monocytes), mais qu'il se répliquait dans les macrophages (cellules phagocytaires d'origine sanguine et localisées dans les tissus). Ces cellules pourraient donc être impliquées dans l'infection des tissus qu'on sait touchés par la maladie, comme les muscles et les articulations. Le virus infecte également la plupart des cellules dites "adhérentes": cellules endothéliales, cellules épithéliales, fibroblastes... Les chercheurs souhaitent aujourd'hui identifier les voies d'entrées du virus dans ces types cellulaires, et aussi mieux comprendre les interactions du virus avec le système immunitaire. Leur travail pourrait d'ores et déjà permettre de tester des médicaments en culture cellulaire, en vue de sélectionner ceux qui inhibent l'infection des cellules cibles.
Parallèlement, une autre étude menée par Pierre-Emmanuel Ceccaldi et Simona Ozden dans l'Unité Epidémiologie et physiopathologie des virus oncogènes à l'Institut Pasteur, dirigée par Antoine Gessain, en collaboration avec d'autres équipes de l'Institut Pasteur, de l'Institut de Myologie de Paris, et avec des cliniciens de Saint-Denis de la Réunion, a permis de montrer que, chez les personnes infectées, certaines cellules présentes dans le tissu musculaire sont des cibles du virus Chikungunya. Leur travail, récemment publié, s'appuie sur l'étude de biopsies de malades. Ils ont trouvé dans une biopsie prélevée en phase aiguë de la maladie chez un patient, et dans une autre prélevée à un stade plus tardif chez une autre patiente, que les cellules précurseurs des cellules musculaires – les cellules satellites – étaient infectées par le virus. De plus, ces cellules s'avèrent, en culture cellulaire, très permissives au virus. Les auteurs cherchent aujourd'hui à savoir si ces cellules ne joueraient pas un rôle de "réservoir" du virus, ce qui expliquerait les récidives des douleurs musculaires observées chez certains patients.
Ces premières étapes clés de l'étude du Chikungunya sont de nouveaux résultats - après le séquençage des virus de l'Océan Indien publié l'an dernier - de la forte mobilisation des chercheurs de l'Institut Pasteur, qui travaillent aussi notamment sur la transmission mère-enfant, la physiopathologie de la maladie, les relations entre le virus et les moustiques vecteurs, et séquencent actuellement des souches de virus qui circulent au Gabon.
Article de Technoscience du jeudi 5 juillet
Source CNRS